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LE SERVITEUR

on estimait aussi que, pas une seule fois dans l’année, les bourgeois ne faisaient un repas qui valût celui du « cochon » : c’était la revanche annuelle des paysans des villages et des ouvriers-paysans de la petite ville. Le cochon en faisait tous les frais : bouillon, boudin, pieds aux choux, rôti, tout venait de lui. Ceux qui l’avaient engraissé oubliaient qu’ils l’eussent connu vivant : sa destinée avait toujours été de finir sur cette table, victime et héros de ce repas triomphal auquel il méritait bien de donner son nom. Tu buvais et mangeais peu. De t’être couché tard et d’avoir changé ton ordinaire, invariablement le lendemain matin tu avais mal à la tête. Une année, enfin, si tu ne tuas pas le cochon, tu te décidas à en acheter la moitié d’un. On nous l’apporta tout dépecé, tout préparé. Comme les gamins qui dansent autour de lui quand on le grille, j’aurais volontiers sauté de joie devant le saloir. Que nous ne fussions de vrais paysans, il ne s’en fallait que d’une moitié de cochon. Et nous allions avoir des provisions qui longtemps nous permettraient de narguer la faim. Toi aussi tu donnas des « repas de cochon ». Nos seuls