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LE SERVITEUR

elle ne peut faire autrement que de se perdre. Elle reste un instant piquée à la corne d’un bœuf comme une boule de bilboquet sur la pointe du bâtonnet. Maintenant la voici sur toi. Tu ne la sens pas. Mais je te regarde longuement, courbé sous le crépuscule. Tu désherbes, pioches, bêches, sarcles, arraches. Tout à l’heure, tu ne te croiseras point les bras sur la poitrine comme le paysan de ce tableau que tu ne connais pas et qui récite sa prière au son de l’Angélus : l’Angélus, tu le sonneras toi-même, de tes bras infatigables.

Peut-être cependant se seraient-ils fatigués à la fin des fins, si nous avions vécu sous le régime d’un été perpétuel. Même alors tu te serais refusé à repérer les limites de tes forces physiques. Tu répétais que nous avons été créés pour le travail. Sous cette malédiction qui pèse sur nous depuis la faute de nos premiers parents, tu courbais la tête avec plus de joie que de résignation. Pied à pied tu disputais à chaque jour ses minutes de lumière. Tu ne t’arrêtais que la nuit venue, sauf pendant les grandes chaleurs après déjeuner. Mais enfin il te fallait bien accepter les différences des saisons, et la