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LE SERVITEUR

toi une heure commencée n’était pas une heure finie. Elle n’avait de valeur d’échange que dans sa totalité. Et même cela te semblait si naturel que souvent, de ton propre gré, tu t’offrais avec tes deux bras pourtant fatigués.

Je ne veux pas dire que tu ne te sois pas rendu compte de ta vie. Car tu étais heureux que j’aie trouvé une place à Paris, dans ce qu’on appelle un bureau. Tu me disais :

— Certainement, je vois bien que tu ne gagnes pas des mille et des cent. Mais, là, tu es toujours assis. Été comme hiver, tu es à l’abri du soleil, de la pluie et de la neige. Moi, il y a des fois où je ne suis plus qu’une eau, et des fois où j’ai les pieds glacés, les mains gelées, avec des crevasses qui me font mal.

Mais c’était notre vie. Maman aussi, de laver dans l’eau couverte de glace qu’il fallait casser à coups de pioche, ses mains n’étaient plus, comme tu disais, « qu’une crevasse ». C’était la vie de ceux à chaque jour de qui suffit sa peine, parce que le lendemain vient, lui aussi, avec sa peine. Mais si tu parlais de tes souffrances, ce n’était pas pour t’en plaindre : elles faisaient partie de ton travail.