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LE SERVITEUR

des cafetiers devaient être approvisionnées d’or. Il n’en était pas toujours ainsi, certains d’entre eux buvant avec leurs clients à s’en rendre malades et à en mourir. Quand ils t’offraient un verre, qu’ils eussent ou non fait honneur à leur signature, tu refusais toujours, d’abord parce qu’il te déplaisait de boire, ensuite parce que tu aurais souffert de contribuer, pour si peu que ce fût, à leur ruine.

Quand tu rencontrais dans les rues des hommes de ton âge, c’était bonjour, bonsoir, quelques phrases sur la pluie et le beau temps. Tu n’avais pas avec eux d’idées ni de sentiments communs. Ils étaient presque tous pour toi comme ton frère : des étrangers, ou peu s’en fallait.

Les soirs d’été tu aurais pu, quittant notre seuil, te mêler au groupe qui, quelques maisons plus loin, en racontait de bien bonnes au clair des étoiles. Il suffisait d’entendre s’épanouir leurs rires pour s’imaginer l’épanouissement de leurs faces. Tu ne bougeais pas, préférant ta solitude, n’étant pas fait pour te mêler à des groupes dont tu aurais été obligé de prendre le ton. Tu ne te hérissais pas de piquants. Tu te dissimulais si bien depuis toujours que