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LE SERVITEUR

par la lune. J’ai revu celle de ton père et de ta mère, que je n’ai connus que courbés par la vieillesse, lorsque j’étais encore petit : ils t’ont précédé là, comme tu m’y précèdes. Je les ai revus un instant dans leur maison couverte de chaume ; ils avaient une grande cour où l’herbe poussait abondante, et un jardin dans lequel, bien des étés avant celui-ci, l’on avait tué deux serpents qui sifflaient. Je les ai revus vieillis, mais s’accrochant à la vie comme des naufragés se cramponnent au bateau.

J’ai revu les tombes de tous ceux qu’ensemble nous avons enterrés quand nous étions, toi sacristain, moi enfant de chœur. Trente années de suite tu les as conduits à leur suprême demeure. Tu disais familièrement :

— Quand on est couché là-haut, on est bien tranquille.

Tu t’étais habitué à regarder la mort en face. Mais peut-être, malgré tout, crierait-on d’épouvante si on la voyait, si on la sentait au moment précis où elle se dresse, où elle vous frappe.