Page:Badin - Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition, 1897.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je m’arrangerais très bien de la pauvreté avec toi, et jamais tu n’entendrais de ma bouche le moindre reproche.

— Ma chère Marie ! fit Michel enfin désarmé, en se retournant pour serrer sa femme entre ses bras.

Voyant qu’elle gagnait du terrain, celle-ci continua à presser son mari de ses questions.

« Allons ! Confessez-vous à votre femme. C’est donc difficile à avouer, ce gros secret ?

— Tu as raison, Marie, répondit Michel, renonçant à résister davantage au charme enveloppant de la douce créature. Je n’ai pas à faire de mystères avec toi et tu vas savoir pourquoi je t’ai semblé ces derniers temps triste et préoccupé. Je voulais garder pour moi ces misères, sans réfléchir qu’un jour ou l’autre il faudrait bien te les apprendre. Nous ne sommes pas ruinés, tant s’en faut ; et cependant tu avais deviné juste en supposant que notre fortune avait été sérieusement entamée à la suite de liquidations désastreuses en Bourse. Voici plus d’un an qu’une malchance persistante semble s’acharner sur moi. Il suffit que je me lance dans une affaire pour qu’elle tourne mal. Quelque bonnes que soient les valeurs sur lesquelles je prends position, un incident arrive à point nommé pour amener un revirement des cours et me voilà découvert. Ce matin encore une affaire excellente sur le Turc, dans laquelle l’homme le plus timoré n’eût pas hésité à s’engager les yeux fermés, s’est effondrée brusquement à la suite d’une dépêche de Londres que rien au monde ne pouvait faire prévoir. Ce dernier coup, je l’avoue, m’a accablé. Je n’ai plus le ressort nécessaire pour réagir et l’avenir me fait peur.