Page:Badin - Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition, 1897.djvu/172

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prostration profonde où l’avaient plongé les secousses du voyage. Ce n’était pas sans les plus grandes peines qu’on arrivait à lui faire prendre un œuf ou un verre de lait. Et cependant il fallait le soutenir à tout prix.

« Ne vous découragez pas, disait à Marguerite le docteur Hugon : si on l’écoutait, il se laisserait parfaitement, mourir, ce gaillard-là ! »

L’oesophage se refusant à accepter aucun aliment solide, Marguerite essaya d’y glisser de la viande crue hachée. Deux fois de suite, le malade eut des nausées et rejeta la viande. Sans se lasser, Marguerite recommença jusqu’à ce que la viande eût passé. Enfin, la prostration céda quelque peu, mais la faiblesse restait extrême ; personne ne pouvait toucher le pauvre malade sans qu’il poussât des gémissements d’enfant ; le moindre bruit lui brisait le tympan et la lumière lui causait une véritable douleur ; aussi était-on obligé de le laisser dans une demi-obscurité.

Une nuit que Marguerite entrait doucement dans sa chambre, elle s’aperçut, à la faible lueur de la veilleuse voilée encore par un large écran, que les yeux du malade, creusés profondément par la fièvre, étaient grands ouverts et se posaient sur elle avec une sorte d’égarement.

« Vous n’avez besoin de rien ? dit-elle, en s’approchant du lit. Voulez-vous boire ?

— Merci, ma sœur ! » articula le malheureux officier d’une voix à peine intelligible.

Trompé par le costume de nuit de Marguerite, une ample robe de chambre de couleur sombre et sur la tête une mantille de dentelles qui ressemblait vaguement à une