Page:Badin - Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition, 1897.djvu/241

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soixante-sept mètres de long. On essaya d’abord du système des chevalets ; mais on dut l’abandonner, le fond étant d’un sable extrêmement fluide. « Nous posions un chevalet avant d’aller manger la soupe », racontait un des rares soldats qui aient travaillé à cette étonnante construction sans en rapporter au moins la fièvre, « et quand nous revenions, plus de chevalet ! Les sables avaient tout avalé. Il fallait alors passer sa vie dans l’eau jusqu’aux aisselles pour enfoncer les pieux à force, bravant les rhumatismes, sans parler des caïmans très nombreux dans ces parages ; et trois cent soixante-sept mètres, vous savez, c’est long ! » Depuis 1809, les annales militaires n’avaient rien enregistré de comparable à l’établissement de ce pont. Tous les jours, le nombre des travailleurs diminuait ; les autres serraient les rangs et, se raidissant contre la fièvre et la souffrance, continuaient l’œuvre entreprise. On vit des officiers, des lieutenants et des capitaines, empoigner la scie et le marteau pour suppléer les soldats terrassés par la maladie, aider au transport et à la pose des matériaux de construction, et faire en même temps œuvre d’ingénieurs et d’ouvriers : ce simple fait ne montre-t-il pas éloquemment quelle solidarité existait entre tous ces vaillants du Corps expéditionnaire ? Quand la besogne fut terminée, les survivants, dont le nombre était considérablement réduit, ramassèrent leurs outils et repartirent en avant, prêts à de nouveaux travaux, à de nouvelles épreuves ; et, comme leur chef, un peu ému, leur disait adieu, avec ces simples mots « Allez ! mes enfants, et bon courage ! – Merci, mon colonel, ça y est ! » répondit d’une seule voix cette poignée de héros.