Page:Badin - Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition, 1897.djvu/243

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pauvre Nicole : peu à peu il se familiarisa avec cette belle demoiselle qui, de ses mains blanches aux doigts effilés, lui tendait la tasse de tisane, ou remontait les couvertures jusqu’à son menton ; il finit même par la considérer comme une sorte de sœur aînée, lui racontant toutes ses petites affaires, qu’avant de partir pour le 49e il était employé chez un coiffeur de la rue Haute, à Saintes ; que, pendant la saison des bains, il allait aider ses parents qui tenaient un petit établissement avec une vingtaine de cabines, un café et un restaurant, sur la plage du Bureau, près de Royan ; ou bien il lui lisait les lettres de « la vieille » – comme il appelait sa mère, avec un accent de tendresse qui relevait la vulgarité du mot, – de bonnes lettres, pleines d’amour et de fautes d’orthographe, de recommandations touchantes dans leur puérilité pour se garer des balles de fusil et de la maladie, de questions sur l’époque de son retour, etc.

Après avoir traîné longtemps, il paraissait en bonne voie de guérison lorsqu’une complication, comme il s’en présente fréquemment dans les cas de ce genre, survint brusquement et l’emporta en moins de vingt-quatre heures.

Marguerite fut atterrée par cette mort, la première qui avait lieu à l’ambulance, et d’autant plus qu’elle était survenue inopinément, traîtreusement presque, au moment où l’on croyait le pauvre soldat tiré d’affaire. La jeune fille ne l’avait pas quitté d’une minute pendant ses dernières heures, écoutant le cœur serré les divagations du mourant qui n’avait déjà plus sa tête et racontait des histoires sans suite où revenaient son colonel ou ses camarades, et parfois aussi Royan et les villages des environs,