Page:Badin - Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition, 1897.djvu/94

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les deux et se seraient certainement tirés d’affaire sans cela ; et du moins leur mère leur eût été conservée.

A force de remuer dans sa tète ces tristes réflexions, Michel se laissa tomber peu à peu dans un abattement profond d’où rien ne pouvait le tirer. Presque tout son temps maintenant, il le passait auprès de la tombe de sa femme, autour de laquelle il avait disposé avec amour des massifs de plantes et d’arbustes à feuillage persistant, de façon à ce qu’en toute saison elle fût entourée de verdure ; en face, il avait ménagé un banc où il venait s’asseoir de longues heures, rêvant au passé, tout au souvenir de l’être charmant et aimant qui n’était plus. Marguerite et Henri se désolaient ; à maintes reprises ils avaient essayé d’arracher leur père à ce farouche besoin d’isolement dans lequel il se renfermait, mais ils s’étaient heurtés à une résistance passive, plus inébranlable peut-être qu’un violent emportement. Le pauvre homme en arriva à tout négliger, à tout oublier, ne répondant même plus à l’appel de la cloche des repas. Aussi les affaires de l’exploitation ne tardèrent-elles pas à n’aller que d’une aile. N’étant plus ni dirigés ni surveillés, les travailleurs indigènes retournèrent rapidement à leur indolence naturelle ; quelques-uns même désertèrent. Les travaux furent interrompus les uns après les autres une grande partie de la journée. La situation s’aggrava de jour en jour et menaça de prendre une mauvaise tournure, si cela devait continuer encore quelque temps ; et c’était la ruine inévitable à bref délai, la dissolution, l’anéantissement de l’exploitation avant même qu’elle eût été complètement mise sur pied.

Marguerite et Henri assistaient, le cœur navré, à ce désastre,