Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/152

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remarqué qu’àprés avoir quitté sur la fin de septembre de l’an 1619 la ville de Francford, où il avoit assisté au couronnement de l’empereur, il s’arrêta sur les frontiéres de Baviére au mois d’octobre, et qu’il commença la campagne par se mettre en quartier d’hiver. Il se trouva en un lieu si écarté du commerce, et si peu fréquenté de gens dont la conversation fût capable de le divertir, qu’il s’y procura une solitude telle que son esprit la pouvoit avoir dans son état de vie ambulante. S’étant ainsi assuré des dehors, et par bonheur n’ayant d’ailleurs aucuns soins ni aucunes passions au dedans qui pussent le troubler, il demeuroit tout le jour enfermé seul dans un poësle, où il avoit tout le loisir de s’entretenir de ses pensées. Ce n’étoient d’abord que des préludes d’imagination : et il ne devint hardi que par dégrez en passant d’une pensée à une autre, à mesure qu’il sentoit augmenter le plaisir que son esprit trouvoit dans leur enchaînement. Une de celles qui se présentérent à lui des prémiéres, fut de considérer qu’il ne se trouve point tant de perfection dans les ouvrages composez de plusieurs piéces et faits de la main de divers maîtres, que dans ceux ausquels un seul a travaillé. Il lui fut aisé de trouver dequoi soutenir cette pensée, non seulement dans ce qui se void de l’architecture, de la peinture, et des autres arts, où l’on remarque la difficulté qu’il y a de faire quelque chose d’accompli en ne travaillant que sur l’ouvrage d’autrui, mais même dans la police qui regarde le gouvernement des peuples, et dans l’établissement de la religion qui est l’ouvrage de Dieu seul.

Il appliqua ensuite cette pensée aux sciences, dont la connoissance où les préceptes se trouvent en dépôt dans les livres. Il s’imagina que les sciences, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant grossies peu à peu des opinions de divers particuliers, et ne se trouvant composées que des réfléxions de plusieurs personnes d’un caractére d’esprit tout différent, approchent moins de la vérité, que les simples raisonnemens que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent à lui. Delà il entreprît de passer à la raison humaine avec la même pensée. Il considéra