Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/174

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ce point. L’éxemple de ces grands hommes est une apologie de sa conduite, comme sa conduite pourra en être une pour eux quand ils en auront besoin. Le bon sens qui est de tous les siécles, lui a fait connoître comme à eux, que pour sçavoir éxactement, il ne faut pas s’en tenir aux méditations de son cabinet, ni aux habitudes de son païs natal. Il emploia donc le reste de sa jeunesse à voyager, sur tout dans les provinces où il n’y avoit point de guerres. Il s’appliqua particuliérement à voir et éxaminer les cours des princes, à fréquenter les personnes de diverses humeurs, et de différentes conditions. Il s’étudia aussi beaucoup à recueillir diverses expériences, tant sur les choses naturelles que produisoient les différens climats par où il passoit, que sur les choses civiles qu’il voyoit parmy les peuples, d’inclinations et de coûtumes différentes.

C’est ce qu’il appelloit le grand livre du monde, dans lequel il prétendoit chercher la vraye science, n’espérant pas la pouvoir trouver ailleurs que dans ce volume ouvert publiquement, et dans soy-même, selon la persuasion où il étoit que les semences que Dieu a mises en nous ne sont pas entiérement étouffées par l’ignorance ou par les autres effets du péché. Suivant ces principes il voulut que ses voyages lui servissent à s’éprouver lui-même dans les rencontres que la fortune lui proposoit, et à lui faire faire sur toutes les choses qui se présentoient, des réfléxions utiles à la conduite de sa vie.

Car il flattoit son esprit de l’espérance de pouvoir rencontrer plus de vérité dans les raisonnemens que font les particuliers touchant les affaires qui les regardent, que dans ceux que fait un homme de lettres au fonds de son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent presque point d’autres effets que la vanité, qu’il en tire d’autant plus volontiers, qu’elles sont ordinairement plus éloignées du sens commun, aprés avoir mis tout son esprit et toute son industrie à les rendre probables.

Mais à dire vray, lorsqu’il ne s’appliquoit qu’à considérer les mœurs des autres hommes, il n’y trouvoit guéres de quoy s’assûrer de rien. Il y apperçevoit presque autant de diversité qu’il en avoit remarqué autrefois parmi les opinions des philosophes. De sorte que le plus grand profit qu’il en retiroit,