Page:Baillon – La Dupe (fragment), paru dans Europe, 1935.djvu/4

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tures financières et amoureuses de Daniel, en dépit des efforts du conteur, ne nous émeuvent pas. À l’auteur qui déclame et s’écoute souffrir avec complaisance, on peut surtout reprocher de prendre des égratignures, quelque cuisantes qu’elles soient, pour de nobles et profondes blessures. Seuls, l’éloignement et une connaissance profonde du « métier », lui apprendront à se garder de toute émotion extérieure et à distinguer la douleur authentique de l’emphase mélodramatique. L’impartialité de l’éclairage et de l’observation devaient restituer à ces souvenirs leur relief véritable… Mais la suite est un peu triste — la mort surprend Baillon à l’œuvre.


Weslmalle, Forest, Bruxelles, La Salpêtrière, Marly — étapes pathétiques que notre Peintre de la Réalité a tirées de l’ombre pour l’enrichissement de notre expérience humaine.

Les étapes de l’adolescence nous manquaient — voici, tout à la fois, Baillon étudiant sage, Baillon amoureux transi, Baillon révolutionnaire, Baillon millionnaire et prodigue, proie facile de comtes russes en rupture de ban, Baillon candidat au suicide, Baillon cafetier et poète maudit, Baillon Frère postulant !

Labyrinthe plein d’embûches et d’impasses, sans doute ; mais quelle émotion de rencontrer, au détour d’une phrase tortueuse ou d’un lieu commun usé, l’éternel Baillon avec l’inextinguible lueur verte de ses yeux immenses qui transfigure les pages imparfaites !

Il me souvient qu’un autre grand Flamand, le graveur Frans Masereel, a inscrit ces quelques lignes de Colas Breugnon en exergue de son Livre d’Heures, assurément proche parent de l’imagerie de Baillon : « …des plaisirs et des peines, des malices, facéties, expériences et folies, de la paille et du foin, des figues et du raisin, des fruits verts, des fruits doux, des roses et des gratte-culs, des choses vues, et lues, et sues, et eues, vécues ! »

On ne peut mieux définir La Dupe.

carle maria von israël.
Traduction de
otto balka-draeger.


Un jour, Rosine prit un air grave pour expliquer ses projets. Ils étaient simples. Elle avait à Liège — Daniel ne l’ignorait pas — des connaissances nombreuses qui l’estimaient beaucoup et ne manqueraient pas de la favoriser si elle entreprenait un commerce dans cette ville,

— Mais nous ne sommes pas commerçants, interrompit son amant.