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n’est pas un fond de tiroir jauni et desséché. Humble et féconde comme la terre de Flandre, c’est la mère — jusqu’à présent secrète — qui, déterminant la manière de notre auteur, supporte et nourrit l’œuvre entier, par delà la série Des Vivants et des Morts.

On a appelé l’Histoire d’une Marie : le grand arbre de la vie douloureuse de Baillon. Oui, un arbre qui a La Dupe pour racines !


André, futur ingénieur des mines, quitte la poésie et la rhétorique des Joséphites pour les mathématiques de l’Université catholique de Louvain. Il ne tarde pas à s’éprendre d’une chanteuse de café-concert, Rosine, qui l’aide à dilapider, en deux ans, la — bagatelle d’un demi-million. Trompé, escroqué, ruiné — dupé de tous côtés, il tente, sans conviction, de se suicider. On le sauve et nous le retrouvons cafetier, rue de la Cité, à Liège. Cette vie désordonnée, au lendemain plein d’amertume, constitue l’armature de La Dupe, comme les prochains, ce livre est le récit sans fards des années d’apprentissage de notre ami. Mince, dans cette œuvre, est la part de la fiction.

Pauvre et désabusé, Baillon se réfugie auprès de son frère. Bientôt, il s’exile à Forest et consacre à la rédaction du livre qui nous occupe les loisirs que lui laissent d’obscures besognes.

Pressé de nous associer au dégoût et au désespoir qui l’accablent, il n’a cure de nous conter l’histoire complète du frêle roseau. Les clinquantes anecdotes de l’adolescence lui cachent la discrète et cruelle beauté de l’enfance. On sait avec quelle douloureuse lucidité il se penchera plus tard sur le film brumeux de cette enfance sans tendresse, sans joie, sans espérance.


Au sortir de la Salpêtrière, Baillon entreprend une nouvelle version de la fin de La Dupe ; en 1930, après la publication du Neveu de Mademoiselle Autorité, il remanie le début de notre inédit pour l’adapter à Roseau.

Pour qui veut suivre de près la patiente et laborieuse genèse de L’Œuvre, l’ensemble de ces textes présente un intérêt capital. Encore que La Dupe se réclame, par maint côté, du réalisme et du naturalisme, Baillon, peu porté à l’outrance, n’adopte pas l’attitude volontairement pessimiste, impitoyable, furibonde ou scientifique de ses grands devanciers. Du point où il se place, il a sur l’homme, qu’il ne laisse pas d’observer rigoureusement, une vue plus étendue, partant plus compréhensive, plus sympathique.

De la poésie frelatée et inconsistante des Sonnets macabres et des contes du Thyrse — fastidieux plagiats des tics symbolistes ou diaboliques — Baillon passe, sans transition, à une œuvre personnelle et déjà solidement charpentée.

À la vérité, La Dupe est un peu floue ; l’objectif n’est pas encore au point. Le style qui ne manque pas d’équilibre n’atteint pas à la dramatique concision des livres de la maturité. Les aven-