Page:Baillon - La Vie est quotidienne, 1929.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œil. Cela arrive, tu sais ; et même entre gens civilisés… Comment ils s’appellent, mes enfants ? Je te les présenterais : « Celui-ci est Pierre ; celui-là Paul, l’autre Alexis », tu n’en serais pas plus avancé. Le temps de fermer les yeux pour une bourrasque, déjà tu ne les distinguerais plus. Ce sont des enfants qui ont faim, quoi ? La même petite figure en triangle, des côtes qui sortent, le ventre qui s’enfonce ou s’enfle et des yeux, mon vieux, qui te regardent… qui te regardent…

Ces trois enfants marchent. Ils ont un peu d’espoir parce que là-bas, tout là-bas, ils aperçoivent une maison où brille une lumière. Comme dans le Petit Poucet, si tu veux. Mais c’est beaucoup plus loin ; et puis il est dur, pour des enfants, d’avancer dans la neige ; et puis à chaque instant il y a cette bise qui siffle et coupe avec son bruit de scie. Il se passe alors quelque chose que je ne m’explique pas. Chaque fois que la bise se lève, les enfants mettent, comme il est naturel, le coude devant la figure : puis, quand ils se découvrent, ils sont étonnés parce qu’ils trouvent autour d’eux de nouveaux compagnons. Ils étaient trois, les voilà trente ; puis cent ; puis cinq cents. Si bien que lorsqu’ils arrivent à cette maison, la cour est trop étroite