Page:Baillon - La Vie est quotidienne, 1929.djvu/110

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dont je te parle, tu te l’imagines ? Non, vieux, tu ne te l’imagines pas. Ce n’est pas de la neige en ouate et en mica comme celle que tu vois sur la fourrure de ce bonhomme Noël. Ce n’est pas celle qu’on ramasse à la pelle et qu’on envoie fondre dans le ruisseau. Ce n’est même pas celle que l’on foule sur le Mont-Blanc où, après tout, on est libre de ne pas aller. Ma neige est de la vraie neige ; elle est tombée sur une plaine depuis des jours ; elle est très haute ; par moments elle s’envole sous des coups de bise, puis elle revient plus épaisse en sifflant : Z î î î. Tu entends ? Pas comme un moustique, l’été, quand tu dors la fenêtre ouverte. Un « Z î » plus aigu, quelque chose comme une scie mécanique qui mord du bois, car vraiment cette neige mord les visages comme du bois ; et il y en a tout plein, si loin que tu regardes, même plus loin, si tu allais.

Alors au milieu de cette neige passent les trois enfants qui ont faim. Faim, comprends bien ; pas faim comme quand tu bâilles et que tu dîneras tout à l’heure. Non : la vraie faim, celle qui a mangé hier une pincée de riz, avant-hier une carotte, et lorgne aujourd’hui un bon morceau sur le dos du copain en passe de tourner