Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déranger si souvent la mère de Charles. Je déjeunais dans le bar au Gaillac. Pour me donner du courage, je buvais ce Gaillac, puis je me campais sur un trottoir. Régulière comme une horloge, Mlle Jeanne passait. Jamais elle ne me regardait. Une fois, elle ne vint pas. Je fus dérouté pendant toute la semaine. Une autre fois, je vis arriver la mère de Charles. Je me détournai de crainte qu’elle ne m’aperçût. Je me reprochai cette lâcheté. Que voulais-je donc de cette demoiselle Jeanne ? Qu’elle me donnât un coup d’œil ? Qu’elle devinât un ami de Charles ? Elle restait cependant insignifiante comme au temps de Charles. Seulement, elle avait quelque chose en plus : celui qu’elle ne regardait pas, ce n’était plus lui, c’était moi.

Je n’explique rien. Il est sûr que le chagrin m’avait déprimé. Il ne faut pas oublier qu’au milieu de tout cela, je pataugeais dans mes idées de bourrique, ce qui amoindrissait le contrôle de ma volonté. Peut-être aussi y avait-il là un souvenir de mes anciens « vœux ». Un jour, comme elle passait en appelant son chien, je me surpris à murmurer :

— Ah ! être son chien.

Et je pâlis comme si j’étais Charles.