Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/260

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irréelles : des sensations de cauchemars. Je voulais avancer : on me rejetait en arrière. Le piano lançait des notes rondes, lourdes : des boulets de plomb. Quelqu’un me frôla : je faillis réagir comme si j’avais reçu un véritable coup de poing. Au milieu de tout cela, le oui de Jeanne prenait une importance sournoise, effrayante. Je n’en comprenais que ceci : qu’il me séparait de mon amie, et je ne savais plus au juste ce qui nous séparait : ce oui, ou ces gens de plus en plus nombreux entre nous.

Je jouai des coudes plus violemment. Je fis un crochet pour éviter la mère de Dupéché que j’appelais maintenant : cette femme. Ce que je ferais, je ne le savais pas. Peut-être sauter sur lui, lui arracher Jeanne, le traiter sous mon talon en simple perce-oreille. Et voilà que je débouchai devant eux plus vite que je ne l’aurais cru. Surpris eux-mêmes, ils forcèrent leur sourire. De la tête, Dupéché me fit signe de venir, mais en même temps il me lança un clin d’œil dont je compris aussitôt le sens : Va-t-en ! Mes idées en furent retournées : « Non, me dis-je, ce n’est pas là ce que tu dois faire, Jeanne s’est avilie. Cela ne vaut pas un scandale. Plante tout là. » Je pensai cela très vite et aussi qu’abandonner Jeanne serait lâche. Une va-