Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/35

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beaucoup. Assis, à part son ventre, il ressemblait à tous les messieurs. Debout, il s’appliquait à lancer les pieds en avant et jamais ils ne se posaient où l’on s’y fut attendu. Il n’avait pas l’air vieux. Il s’aidait de deux cannes, ou sonnait un valet en habit qui venait lui prêter l’épaule. Alors on ne le voyait plus.

Outre le valet, le Monsieur avait trois domestiques : le chef qui m’en imposait avec son haut bonnet blanc, une grosse femme qui ne m’intéressait pas, une autre que je regardais volontiers, car elle était fine et jeune. Depuis sa mallette, papa détestait tout le monde. À maintes reprises, je l’ai entendu grogner :

— Ce goinfre d’Italien.

Goinfre, oui, si j’y réfléchis, il l’était. Et, de plus, égoïste, car il goinfrait seul. Mais en ce temps, je voyais les choses de façon différente. Le matin je me régalais déjà d’un beau spectacle. Dans la salle à manger, le Monsieur était assis ; le chef, debout, un crayon prêt. Absorbé, une main sur le front, le Monsieur regardait en l’air, puis à terre, se disait oui, se disait non, finalement dictait quelque chose que le chef inscrivait. Puis de nouveau, il méditait.

— Le goinfre compose son menu, disait papa.