ous sommes à table un midi, quand il entre sans frapper, pieds nus, un gros ventre, un panier à chaque bras, en brave homme de moine qui est partout chez lui.
— Je… commence-t-il.
Puis il s’arrête, surpris. C’est notre première année. La dernière fois, il a trouvé ici une petite vieille avec un petit vieux ; il ne connaît pas ces deux-ci, mais ils ont l’air bon quand même et à ce qu’il peut voir, ils sont en train de se régaler d’une fameuse salade. Il y pique un regard :
— Hum ! dit-il, on se fait du bien ici.
C’est en effet une superbe salade. Nous l’avons cultivée. Pour qu’elle soit plus moelleuse, Marie y a semé du lard en croûtons et versé par-dessus trois cuillerées de cette bonne huile qu’elle a ramenée, tout exprès, d’Anvers.
Gêné de paraître gourmand, j’attends, sans répondre, ce que me veut ce moine à paniers.
— Je viens, explique-t-il, pour le beurre.
— Le beurre, s’étonne Marie, je ne fais pas de beurre. Nous n’avons pas de vaches.
— Pas de vache ? Tiens !
Un fermier sans vache c’est comme qui dirait un capucin sans sa corde. Nouveau coup d’œil à ces gens, puis sur leur table où ce qu’ils mangent est décidément une gaillarde de salade.
— Alors, fait-il, donnez-moi des œufs. Si vous n’avez pas de vaches, vous avez des poules.
— Des poules, dis-je de plus en plus agacé, oui, j’en ai. Seulement je ne vends pas mes œufs.
— Alors, fait-il, donnez-moi de l’argent.
— De l’argent, pourquoi faire ?
Cette fois, j’ai sauté debout.
Il comprend alors à mon air qu’il y a quelque chose que nous ne savons pas :
— Je suis le père Raphaël, dit-il. N’avez-vous pas entendu le sermon de M. le curé, dimanche ?