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Les idées de Claes


Il en a beaucoup ; un jour il en eut une excellente. Il se dit qu’au lieu de ces vilaines ornières qui reliaient sa ferme à la grand’route, il serait bien plus commode d’avoir à soi, à travers ses propres champs, une jolie petite chaussée bien droite.

Tout l’hiver sans consulter personne, Claes étudia son idée : quel serait le trajet le plus court, combien ça lui coûterait en pavés, comment pour les placer il aurait à s’y prendre. Puis, au printemps, sûr de soi, ayant fait un tour par où les cantonniers rapiéçaient leur route, Claes se mit à piocher, niveler, jalonner, puis à caler l’un contre l’autre ses cubes de pierre.

Il pavait depuis deux mois, quand un matin il s’avisa de quelque chose : c’est que le vieux sapin, sous lequel tous les jours il prenait une sieste, allait se trouver juste au milieu de sa route. À force de le savoir là, il l’avait oublié.

Tonnerre ! Il n’allait pas pour ce maudit sapin défaire ses pavés et les placer ailleurs ; il ne pouvait pas davantage tirer sa route au travers de cet arbre !

Claes jeta là ses outils et médita longtemps. Après huit jours, il tenait son idée. Il reprit sa route où elle était, et quand il fut arrivé à l’endroit qu’il savait, Claes fit comme le ruisseau qui contourne une pierre, il contourna son arbre.

Seulement sa belle route droite eut, par le milieu, un gros ventre.

— Je devine, dis-je à Claes, ce vieux sapin, vous y teniez.

— Non, fait Claes.

— Mais alors, il me semble, Claes, il eût été plus simple de le flanquer par terre.

— On a son idée, répond Claes, on n’en a pas une autre.

— Bon, bon, Claes. Pourtant sans vous fâcher, je crois m’apercevoir, Claes, que cet arbre, l’arbre pour lequel vous avez détourné votre route, je ne le vois pas.

— Non, dit Claes. L’hiver suivant il a gelé très fort, le bois était cher. Alors, j’ai eu mon idée : j’ai abattu cet arbre pour en faire des fagots.