Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/165

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— Et vivre simple, mon père ? Avoir une petite ferme, quelques poules…

— C’est très bien, mon enfant, mais la vie monastique…

— Et la vie conjugale, mon père ? Avoir une femme, élever des enfants, se dévouer…

— Pas mal, mais…

— Pourtant le mariage est un sacrement.

— Certes…

— Et un beau…

— Oui, mais de deuxième rang ; rien ne dépasse la vie monastique.

Ainsi, j’ai beau tourner mes questions, jamais je ne parviendrai à faire dire à ce moine que ma vie égale au moins la sienne.

Cela m’irrite.

Au tour de Benooi.

— Benooi, tous les hommes peuvent-ils se faire Trappistes ?

— Oui, dit Benooi.

— Même les voleurs, les assassins ?

— Il y en a, dit Benooi.

— Et les hommes mariés ?

— Pour ceux-là, ce n’est pas possible… à moins que leur femme ne soit morte.

— Ah !…

— Peut-être, insinue Benooi, que si de son côté la femme se décidait à entrer au couvent…

Je regarde Marie. Solide comme on l’a faite, la bouche pleine de pain, elle en est à son troisième déjeuner. Elle peut durer longtemps et vraiment je ne la vois pas sous la jupe d’une Carmélite.

Pendant une grosse minute, je la déteste.

En attendant, je m’arrange. Quand je travaille au jardin et que j’entends la cloche sonner les trois coups de la Consécration pendant la messe, je lâche ma bêche, joins les mains et me recueille un instant pour réciter une prière. Ainsi font les Trappistes que leurs travaux retiennent aux champs pendant l’office.