Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/166

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Mais qu’à 2 heures de la nuit, cette même cloche tire les moines hors de leur lit pour les matines, je me retourne dans le mien et fais le sourd. Après tout, est-ce que je suis un Trappiste ?

Pour entrer au couvent, Benooi n’a plus besoin de sonner. On lui a remis une clef. Il entre comme il veut.

— Je voudrais beaucoup, dis-je à Benooi, avoir la clef comme vous.

— Demandez-la, vous l’aurez.

Jamais je n’ai osé.

Pourtant à Bruxelles, tous les amis savent que Baillon, qui s’entend si bien avec les Trappistes, entre au couvent comme il veut, grâce à la clef qui lui a été remise par le Père Abbé en personne.

Entre nous, je ne connais pas le Père Abbé. Ce saint homme m’épouvante.

J’assiste à la messe le dimanche et quelquefois en semaine.

Peut-être aurais-je moins de dévotion, s’il me fallait rester avec les paysans que l’on tolère dans un petit réduit à l’écart, d’où l’on voit à peine l’église et de loin, à travers une vitre. Mais grâce à Benooi, je connais une place meilleure et par des escaliers et des couloirs, je me faufile à l’étage, au jubé, où l’on accepte les « hôtes » qui sont déjà plus de la maison. Là, je prie bien.

Dans leurs stalles, les frères sont toujours aussi morts. Quelquefois, je m’imagine parmi eux, pareil au frère Joachim dont la barbe est si belle, les yeux levés dans l’attitude de frère Bernard qui est un saint, tandis qu’un ami, venu tout exprès, serait à me contempler de la place où je suis.

Puis je me souviens que ce n’est pas possible et j’envoie au diable ces vieilles bigotes à barbe…

J’écris aux amis. Je les sermonne : « Soyez simples. » Je me fais humble avec ostentation. Je dis « mes » moines, « mon » couvent et à la même page, « mes » poules et « mes » chiens.

De ces hommes j’analyse la vie, les mœurs austères et tâche