Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/53

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simplement comme ouvrier de la ferme. Alors, il a pris femme, une laideron, sa cousine, qui louche et que l’on dit un peu idiote. Ils s’aiment, comme on s’aime ici, pour la progéniture. Chaque année, en même temps que la vigne, l’idiote donne son fruit.

Ils en sont au septième. Un boiteux avec une idiote, on s’imagine quels monstres. Et en effet : morveux, campés droit, les yeux francs, ils sont si beaux, ces monstres, que les mamans de la ville en bavent.

P’tite Jeanne est leur avant-dernière. Elle a trois ans, elle est déjà boulotte. Quelquefois elle s’aventure chez le Monsieur et s’amuse à courir sur les pierres rouges du carrelage. Elle n’a pas encore beaucoup d’équilibre. Ronde et soufflée comme une balle, à chaque instant je m’attends à la voir rebondir et la voilà qui se répand comme un bol de lait.

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Les Bohémiens


Ceux-là ne sont pas d’ici, ni d’ailleurs, ni de nulle part. Ils arrivent un soir avec leur maison, l’arrêtent au bord de la route et deviennent pour un jour des voisins. Trop serrés dans la roulotte, ils se répandent en plein air. Leur marmite bout sous les arbres ; les femmes se lavent dehors comme si elles se trouvaient derrière une muraille, sous un toit. L’hiver ils sortent moins ; la porte close, leur cheminée fume.

Ils n’ont pas besoin de charbon ; leur combustible, ils l’achètent à coups de hache dans les sapinières.

Très réservés, ils ne parlent que si le premier on leur souhaite bonjour. Et encore, si ça leur plaît.

Il y a parfois plusieurs femmes pour un seul homme ; souvent plusieurs hommes pour une seule femme, rarement autant