Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/67

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Tout à fait rassuré, Spitz me flaire aux jambes, me fourre son museau, que je le pelotte. De près, ce gardien féroce a le regard d’un bon chien ; son crin est rude, son ventre ballonne un peu. Je vois à sa brave gueule que nous sommes déjà des amis. C’est tout ce que je demande.

— Et c’est combien votre chien ?

François a mis le pied sur une roue et se gratte la tête. C’est difficile à dire. Il sait comme moi, qu’il lâchera sa bête pour cinq francs, il l’a dit au village. Mais s’il en tirait dix ? Et puis, il a le temps : entre paysans, on lésine, on discute, on ruse ; alors seulement on tombe d’accord.

— Eh bien, calcule François, puisque cette bête vous convient, je vous la donne pour dix francs.

— Dix francs, François ! D’abord, je n’ai pas dit que cette bête me convienne. Elle n’est plus jeune : regardez son museau : il grisonne.

— Ça, dit François, c’est de naissance. D’ailleurs, à la campagne, les chiens ont la vie longue…

— Oh ! oh ! François.

— Bien sûr. Et puis elle est facile à nourrir. Deux pommes de terre à midi, le soir de l’eau, pas davantage.

— Si peu, François. Votre chien est donc malade ?

— Oh ! se reprend François, je ne dis pas que si vous lui donniez un pain de seigle, il ne l’avalerait pas tout entier. Il mange ce qu’on veut. N’est-ce pas Spitz ?

Couché sur le flanc, Spitz écoute des yeux ce que dit le Monsieur ; et sa queue fait risette.

C’est à mon tour de mettre le pied sur la roue :

— Eh bien, voilà, François. Je veux bien vous donner cinq francs. Et c’est encore cher. Aussi vous me laisserez le collier, par-dessus le marché.

Ce finaud de François, il n’a rien entendu. Il y a dans son jardin une poule qui l’agace. Il faut qu’il lui lance des pierres, qu’il aille jusque-là pour chasser cette sale bête. Quand il revient, il ne pense plus du tout à son chien. Il me parle de ses poules, puis des miennes ; il y a aussi la récolte qui sera bonne, la chasse qui va s’ouvrir.

— À propos, dit-il, Spitz chasse.