Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elles vivent en effet, ces pattes qui s’ouvrent et se referment comme une main qui veut prendre, et le corps tout entier qui se tend, et les ailes qui tout à coup se reprennent à battre, les deux ensemble, si violentes que des plumes se détachent et s’envolent.

Mais cela ne dure pas. Tête ballante, la poule souffle au bout du bec, une petite bulle qui crève ; les ailes se ralentissent, reprennent leur jeu de tantôt, la gauche, plus faiblement la droite, à peine la gauche, puis les deux qui s’écartent, grandes, grandes, tant qu’elles peuvent et restent ainsi.

— C’est fini, dit Marie.

J’ai besoin de faire un petit tour…

Quand je reviens, ses pattes en l’air, Tante Ida repose sur le bord d’une table. Un peu de vent rebrousse ses plumes de poule morte. La crête est blanche. Avec un doigt, je fais ballotter la tête : une mouche en sort.

Le lendemain, trempée de riz, en morceaux sur un plat, ce n’est plus une poule : c’est quelque chose qui se mange.

— Eh bien, dit Marie, tu ne te sers pas ?

— Non, Marie, je n’ai pas faim. Une poule, ne trouves-tu pas, ça sent, oui vraiment, ça sent le poulailler.

Au lieu d’avouer simplement que je pense à ma bête et que j’ai de la peine !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’est ainsi qu’on devient assassin : on prend l’habitude. À présent, quand Marie prépare un massacre, afin que rien ne se perde, je dispose sous la poule un plateau qu’elle y saigne tout à son aise de la nourriture pour les autres.

Séparateur