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MARCEL BAILLOT

BALLADES


BALLADE DU BUVEUR D’ABSINTHE


I



Oh ! c’est drôle ! Dis, madame, que tu ne refuseras pas à mes lèvres brûlées par la fièvre cette fraîcheur si douce ? Tu es bonne, vois-tu, toi, et je savais bien que tu ne me repousserais pas comme les autres. Ils ont dit que j’étais fou. J’ai soif à en mourir ; encore quelques gouttes et je te donnerai en échange des pièces d’argent très pâles, des pièces d’or qui tinteront joyeusement. Veux-tu des vers ? Je chanterai tes yeux, tes grands yeux étonnés, ta fossette mignonne qu’empliraient à peine dix baisers, tes cheveux roux qui encasquent ta tête, je chanterai ta gorge blanche, tes épaules d’albâtre, car tu es belle, madame. Je suis poète aujourd’hui et j’ai du soleil plein le cœur. En veux-tu du soleil ! C’est bon la vie. S’en aller par les boulevards ensoleillés en cueillant des femmes et en embrassant des roses, et jaloux des gros papillons saupoudrés d’or, les chasser à coups de fleurs.

C’est mal de se moquer d’un pauvre poète. Ils m’avaient dit que c’était l’hiver, et qu’aux misérables comme moi on n’offrirait pas la moindre flambée pour dégeler mes membres engourdis.

Et, au lieu de cela, du printemps, du bon printemps qui m’a grisé, des feuilles aux arbres, des feuilles vertes tendrement écloses que jamais ne souilleront les baisers de la poussière. C’est avec cela que l’on doit faire l’absinthe qui chante dans les verres.

Madame, écrasez des émeraudes dans cette coupe trop petite. Encore. Oh ! c’est drôle !


II


Tiens, voilà Jeanne ! Oh ! pas toi, dis ! Tu viens insulter à mon malheur et te moquer de l’amour trompé.