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II


Le grand Machiniste a bien fait les choses et ses décors sont nouveaux. Sous le soleil de Mai, quand blanchissaient les aubépines, le rouge dominait, depuis les boutons des arbres qui crevaient de sève jusqu’aux coquelicots qui saignaient dans les blés ; aujourd’hui, blanc sur blanc.

Ce n’est pas le blanc pâle des lys, ce n’est pas le blanc virginal des fleurs d’oranger, c’est le blanc immaculé par excellence qui couvre d’un manteau épais la terre tout entière. Tout noircit, tout paraît terne auprès de ce blanc auquel nos pauvres yeux sont si peu habitués. Viens, nous irons dans la splendeur des campagnes faire tache, car ceux-là seuls qui sont amoureux savent comprendre la beauté de ces paysages. Dans mon égoïsme blâmable, je voudrais pouvoir m’ensevelir dans ce linceul si blanc et la bouche sur la bouche m’endormir avec toi.

Le soleil trop rouge, qui irise de ses derniers rayons les pendeloques diamantées, va faire place à la lune au disque d’argent, dont la pâleur s’harmonise mieux avec la neige, qui doit être le duvet que laissent négligemment tomber les grands oiseaux blancs qui volent dans les immensités bleues.


III


Tombez, tombez encore, jolis flocons, poudrez les cheveux de ma maîtresse, et dans un décor mignard m’apparaîtront les marquises d’autrefois dansant la pavane. J’en voudrais encore, jusqu’à couvrir les toits des maisons, jusqu’à faire disparaître les pas de l’homme, et nous irions à travers un monde inconnu, à travers des forêts orgueilleusement vierges.

Que ta voix, mignonne, éclate en roulades perlées et remplace pour un moment les oiseaux engourdis qui ne chantent plus leurs amours. Je sais un petit coin, une fossette que je remplirai de baisers, et ce sera une façon de te remercier. Tu n’as que moi pour t’écouter, mais les applaudissements ne te feront pas défaut ; va, fauvette du faubourg, troubler le silence de la forêt, et l’écho caché sous bois reprendra le finale.

Tombez, tombez encore, jonchez la terre de diamants, flocons de neige, papillons blancs, car vous êtes sans doute le duvet que laissent négligemment tomber les grands oiseaux blancs qui volent dans les immensités bleues.


IV


Tes petits pieds roses que ce soir je veux réchauffer dans mes mains se glacent trop tôt, hélas ! il va falloir détacher nos yeux de cette éclatante féerie. Jette un dernier regard sur ces boucles d’oreilles d’améthyste, sur ces topazes éphémères, que balayera le souffle de l’Aquilon. Voilà ce que fait le grand organisateur quand il veut donner une fête. Il