Page:Baillot - Ballades, AC, vol. 67.djvu/5

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a dû dévaliser les joailliers de là-haut et jeter à profusion les trésors dont il dispose.

Tu souris, méchante, mon enthousiasme n’a pas su te gagner et tu as sans doute la nostalgie de la boue de Paris. Allons voir fumer les cheminées, et quand viendra le soir, les bourgeois attardés qui ont pleuré dans les théâtres du boulevard, s’entourant de cache-nez, se drapant dans leurs manteaux, envahiront les omnibus pour ne pas recevoir sur leurs chapeaux ridicules la blanche neige.

Toi, du moins, fais-moi ce plaisir, dans les plis de ta robe, dans ce fouillis d’étoffes qui se retrousse gaiement, emporte un peu de cette neige que je voudrais voir se cristalliser pour toujours, ce fin givre artistement taillé, ce duvet que laissent négligemment tomber les grands eiders blancs qui volent dans les immensités bleues.


V


Et quand nous ne serons plus rien l’un pour l’autre, quand dans la tranquillité continue des sens, nous verrons les jeunes s’embrasser à pleine bouche, envoyons les amoureux dans les plaines blanches, dans les forêts étincellent les stalactites de glace.

Dans les steppes désolées de la Russie, sous le brûlant ciel de l’Afrique, partout et toujours les amoureux trouvent le moment de se dire qu’ils s’aiment.

Puis viendra l’hiver de la vie, sur tes cheveux bleus, que j’aimais à dénouer ; il neigera, Léo, alors peut-être songeras-tu à cette promenade sans but que nous fîmes ensemble, alors que sous le ciel ennuagé, la neige tombait comme si les grands oiseaux, qui volent dans les immensités bleues, avaient secoué leurs ailes blanches.


BALLADE DES TROTTINS


À l’ami E. Deschamps.


I



Les trottins effrontés dans les brumes légères du soir sautillent sur les trottoirs.

Les ateliers s’ouvrent les uns après les autres, et dans l’atmosphère surchauffée, lourde des odeurs qui s’exhalent des dessous peu soignés de ces fillettes à peine pubères, les trottins s’étirent, baillent et secouent la peluche et les bouts de fil qui s’attachent à leurs jupes noires. Comme une classe de bambins, obéissant pendant des heures de silence, comme