Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/120

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venait de sa sagesse même. Ce bon ministre, cet administrateur au sens rassis, ne tenait pas compte de la « maladie de 1815 », du démon qui tourmentait les Français, les poussait à travailler contre leur bien le plus évident. D’autres royalistes, qui étaient eux-mêmes des « enfants du siècle », qui trouvaient prosaïque l’œuvre de Louis XVIII, nourrissaient d’ailleurs à ce moment même l’idée que la monarchie pouvait et devait reprendre le programme du patriotisme révolutionnaire : nationalités et conquêtes. C’était la politique que Chateaubriand avait recommandée avec éloquence, irritation et mauvaise humeur, celle que Polignac devait essayer d’entreprendre.

Belle imagination, tête assez faible et chimérique, Polignac eut l’intuition d’une politique capable de rendre à la royauté une popularité rebelle. Il tenta, mais avec des moyens insuffisants, sans l’organisation ni la préparation nécessaires, ce que Napoléon III devait entreprendre plus tard : une politique conservatrice à l’intérieur masquée par une éclatante satisfaction donnée à l’extérieur aux aspirations libérales. Le grand projet de remaniement de l’Europe, qu’il mit sur pied avec Bois-le-Comte durant les dernières années, de la Restauration, était, à la vérité, impraticable, et même franchement mauvais et imprudent en quelques-unes de ses parties (celles où, remaniant la Confédération germanique, il retombait dans les erreurs de la période révolutionnaire et achetait la reprise de la frontière du Rhin par le système si dangereux des « compensations », qui devait consommer la ruine du second Empire). Polignac tomba et son projet avec : ni lui, ni Chateaubriand n’avaient réussi à convaincre l’opinion publique qu’un Bourbon pût continuer la politique de Napoléon, celle de Waterloo et de Sedan. Cette incrédulité est aujourd’hui un des titres de la monarchie à l’estime et au regret des Français. En même temps que Polignac, Charles X succombait. En même temps aussi se fermèrent les perspectives qui s’étaient ouvertes pour nous et que des esprits plus mûrs, plus sages, auraient pu utiliser à bref délai.

Avec la Révolution de 1830 furent anéantis, en effet, les résultats de quinze années de politique patiente, prudente et sans faux pas. Le premier effet du renversement de Charles X fut de replacer la France dans la situation critique de 1814 et