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Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/14

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Cette histoire, qui est parfaitement vraie, prouve que les choses de ce monde répugnent à l’indéfini et ne s’accommodent pas de l’absurde « de plus en plus ». Rien ne va de plus en plus, ni de moins en moins. C’est tantôt plus et tantôt moins. Les anciens l’avaient déjà dit : il y a des limites à tout. Les hommes d’affaires le savent bien aussi. À la Bourse, une valeur ne monte pas éternellement. La Royal Dutch elle-même a fini par baisser. Réaliser, c’est le grand art.

Mais il ne dépendait pas de nous de réaliser la vie facile et agréable telle que nous l’avons connue avant 1914, lorsque ne se posaient ni les problèmes de la monnaie, ni ceux de l’habitation, ni ceux du vêtement, ni ceux de la nourriture. Nous étions alors comme Condorcet qui ne s’était jamais occupé de savoir combien d’œufs il fallait dans une omelette. Qui eût alors pensé que les commodités de l’existence disparaîtraient si rapidement, que l’existence elle-même deviendrait un problème ardu ? Nous voulons bien croire encore, par un reste d’habitude, au progrès fatal et nécessaire. Mais l’idée de régression nous hante, comme elle devait hanter les témoins de la décadence de l’empire romain.

Ouvrons une histoire de France, une de celles qui ont été destinées à faire sentir aux Français du dix-neuvième siècle, par la comparaison avec les temps anciens, combien ils étaient heureux de jouir d’un gouvernement moderne et des bienfaits de la science. Ouvrons l’histoire de Michelet qui raconte, à faire frissonner, les horreurs du moyen âge. Je trouve, au moment de la guerre de Cent ans, la description d’une mystérieuse épidémie à laquelle succombaient les jeunes gens et les hommes dans la force de l’âge, et qui, épargnant les vieillards, « frappait la force et l’espoir des générations ». On reconnaît là tous les symptômes de la grippe redoutable que nous nommons grippe espagnole. D’ailleurs Michelet, avec un diagnostic très sûr, ajoute que « la mauvaise nourriture y était pour beaucoup ». C’est ce que nous ont dit aussi nos médecins.

Ailleurs Michelet parle comme d’une abomination d’un certain impôt institué par le roi Philippe VI qui cherchait comme il pouvait à remplir le Trésor vide : « En 1343, la guerre avait forcé Philippe de Valois à demander aux États un droit de quatre deniers par livre sur les marchandises, lequel devait