Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autres libéraux n’ont pu échapper à la nécessité de lancer ce défi.

L’Angleterre de ce temps ne fut pas, entre les puissances, la seule à prendre sa liberté. On n’a jamais déchiré tant de traités, renié à la fois tant de signatures, qu’en 1870. L’Italie, entrant à Rome, tenait pour non avenue la convention de septembre. La Russie, effaçant les résultats de la guerre de Crimée, provoquait une revision du traité de Paris. De toutes parts, on s’affranchissait des obligations et des contrats. On a pu citer beaucoup d’aphorismes bismarckiens sur le droit et sur la force. Mais quel était donc le ministre qui affirmait alors que « le droit écrit fondé sur les traités n’avait pas conservé la même sanction morale qu’il avait pu avoir en d’autre temps » C’était Gortschakof, c’était le chancelier de l’Empire russe...

Le duc de Broglie a raconté que lorsqu’il fut délégué par Jules Favre à la Conférence de Londres, il partit avec un espoir et une ambition : recommencer l’œuvre de Talleyrand à Vienne, rendre à la France par la diplomatie ce qu’elle avait perdu par les armes. Il fut vite détrompé : la conférence internationale exclut de ses travaux les questions qui concernaient la France et l’Allemagne. Les temps avaient changé depuis 1815. Les circonstances aussi. Et le duc de Broglie, jusque-là beaucoup plus libéral que royaliste, regretta de n’avoir pas eu derrière lui, comme Talleyrand, un Louis XVIII.

Vaincue et meurtrie, la France de 1871 avait pourtant pensé un moment à la monarchie comme à l’instrument ancien et éprouvé du relèvement national. La déception était immense et le peuple français venait d’être éveillé de son rêve par des coups cruels. L’invasion, deux provinces perdues, plus d’un million de Français arrachés à la patrie, une monarchie autoritaire et militaire mettant la main sur l’Allemagne, et l’Allemagne acceptant l’hégémonie prussienne : c’était donc cela, c’était cette faillite qu’avait apportée la politique fondée sur les principes de la Révolution, la cause des peuples et la propagande des idées libérales ! Alors, le peuple français, revenu de ses illusions, renoncera à toute grande action extérieure, se repliera sur lui-même,