Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/144

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lités aspiraient à prendre leur place au soleil, revendiquaient leur droit à l’indépendance et à la vie. Des peuples aussi négligés autrefois que peuvent l’être aujourd’hui des tribus asiatiques (qu’on se souvienne de ce que les Bulgares étaient pour Voltaire) prenaient conscience d’eux-mêmes. La conception des races s’étendait aux confins du monde européen. L’idée slave devenait un ferment semblable à ce qu’avait été l’idée germanique dans la période antérieure. Ce devait être l’origine de nouveaux et vastes conflits qu’envenimeraient l’anarchie et les rivalités européennes.

La guerre russo-turque, la grande guerre nationale de la Russie, la guerre pour la délivrance des frères slaves opprimés, se termina par le congrès de Berlin, théâtre des plus subtiles intrigues de Bismarck. La France, représentée à ce Congrès de l’Europe, en fut pourtant moralement « absente ». L’opinion publique, pour qui ces affaires orientales étaient neuves autant que lointaines, y assista distraitement. Distraction bien naturelle. Là-bas, pourtant, se formaient les orages de l’avenir, et la guerre de 1914 est sortie du congrès de Berlin comme la plante sort de la graine. Bismarck avait spéculé sur l’inquiétude que les progrès de la Russie avait inspirée à l’Angleterre pour s’introduire entre les deux puissances et exploiter leur rivalité. D’autre part, il avait saisi l’occasion de séduire l’Autriche, de l’attacher définitivement à l’Allemagne en lui montrant le chemin de l’Orient comme la compensation de Sadowa. Le point capital de son projet, c’était l’attribution à l’empire austro-hongrois de la Bosnie et de l’Herzégovine. Quel Français se doutait alors que, de ce fait, son pays dût, trente-cinq ans plus tard, être engagé dans la guerre ? Les Anglais ne s’en doutaient pas davantage. Bien mieux l’Angleterre elle-même entra dans la combinaison de Bismarck. C’est lord Salisbury qui, par un scénario fort bien préparé, proposa que l’administration des deux provinces fût confiée à l’Autriche. Ainsi l’Autriche se trouvait mise en antagonisme, à plus ou moins longue échéance, mais d’une manière inéluctable, avec les Serbes, la Russie, le monde slave. Aujourd’hui l’Angleterre est alliée des Russes. Elle est en guerre contre l’Autriche et l’Allemagne. Et l’une des causes immédiates de cette guerre a été l’annexion définitive de la Bosnie et de l’Herzégovine par l’empereur François-