Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/186

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l’Europe, par un appel à la fraternité des peuples, associé à une action armée contre les rois. On « buvait, buvait, buvait à l’indépendance du monde », qui ferait la grandeur de la nation française et qui lui rendrait ses frontières.

Au grand procès des républicains, en 1831, un jeune chef, Godefroy Cavaignac, avait apporté la profession de foi de ce messianisme. « La Révolution, disait-il, c’est notre patrie remplissant cette mission d’affranchissement qui lui a été remise par la Providence des peuples. » Les peuples que la croisade démocratique conduite par la France devait affranchir, ce n’étaient pas seulement les Polonais, les Italiens. C’étaient les Allemands, c’étaient les Hongrois. Ceux que nous avons connus, nous, dans la guerre de 1914, comme nos ennemis les plus cruels et comme les ennemis de l’Europe et du monde, ceux dont le vingtième siècle aura condamné l’esprit d’orgueil et d’oppression, ils ont eu jadis les faveurs de notre libéralisme. Ce qui, au contraire, s’est trouvé du même côté que nous, dans la lutte contre l’empire allemand et dans le plus grand péril que la nation française, depuis des siècles, eût couru, la démocratie naissante l’a méconnu, haï, maltraité. Non moins que l’Angleterre, la Russie fut alors désignée comme l’ennemie de la France. Le tsar, « tyran, vampire », il fallait l’abattre pour que le monde pût respirer. Le tsar n’est tombé qu’en 1917. Mais, quelques mois plus tard, l’alliance franco-russe, en pleine guerre, est tombée aussi… Quant à l’alliance anglaise, avant de devenir une des ancres du monde, une des bases de notre politique, elle a été l’un des crimes, l’une des « hontes nationales » les plus violemment reprochées à Louis-Philippe par l’opposition. Casimir Périer disait déjà de cette alliance ce qu’on en a dit de nos jours. Puisque l’utilité en était méconnue avec passion ou niée avec mauvaise foi, il essayait d’en faire valoir le caractère libéral, de la justifier par la conformité des institutions et des idées politiques. « L’Europe, disait-il, apprendra ce que l’union de ces deux nations peut donner de garantie à la paix du monde et de gages à la vraie liberté. » Ainsi le ministre choisi, imposé par Louis Philippe pour la « résistance », parlait le langage que la République, soixante-quinze ans plus tard, devait employer. Il esquissait déjà la ligue et le programme des « puissances libérales ». Cependant l’Angle-