Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/187

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terre restait, pour les démocrates et pour l’opposition de gauche, l’ennemie de la France, l’ennemi héréditaire, parce qu’elle avait été l’ennemie de la Révolution et de l’Empire.

Cette alliance, la plus féconde que nous puissions contracter, la plus désirable pour la tranquillité de l’Europe, Mauguin, par exemple, n’hésitait pas à la traiter de « honteuse soumission ». Les mêmes hommes eussent d’ailleurs voulu engager la France dans une lutte inégale et inutile contre la Grande-Bretagne, la Russie, la Prusse et l’Autriche pour les beaux yeux d’un aventurier oriental, du conquérant Méhémet-Ali. Lorsque Louis-Philippe, en 1840, eut refusé de mettre la France aux prises avec cette formidable coalition pour la plus douteuse des causes, l’indignation contre sa « lâcheté » ne connut plus de bornes. Au Mont Saint-Michel, les républicains prisonniers, compagnons de Barbès et de Blanqui, « apprirent avec une douleur mêlée de rage l’humiliation de la France ». Les favoris de ces révolutionnaires, c’étaient les Hongrois, peuple alors vénérable entre les peuples persécutés, en attendant qu’il devînt lui-même persécuteur. Par un ironique contre-sens, le libéralisme français faisait des vœux ignorants pour les aristocrates magyars, pour la gentry de Budapest, pour les grands-pères des Tisza, des Andrassy, des Apponyi qui devaient être flétris de nos jours comme les principaux complices des deux empereurs de Vienne et de Berlin, comme les instigateurs de la catastrophe et les auteurs de la grande guerre. Mais, sous Louis-Philippe, on n’avait pas encore découvert que la nationalité intéressante, la nationalité victime, en Autriche, c’étaient les Slaves. Au contraire, les Croates, que la Hongrie, objet d’un amour aveugle, n’opprimait pas encore parce qu’elle-même n’avait pas conquis son indépendance, les Croates étaient voués à l’exécration des peuples libres. En vers et en prose, les Croates, ou Yougo-Slaves, ont été maudits comme les instruments du despotisme et comme les sbires des Habsbourg. Ils partageaient cette damnation avec les Cosaques, tortionnaires à la solde du tsar. De nos jours, les Cosaques ont retrouvé leur heure. Il appartenait à la guerre et à la révolution russe de les réhabiliter. La France a fait des vœux pour leur ataman Kornilof. Elle a compté sur leurs sotnias pour en finir avec les soviets… Que l’ironie de ces souvenirs nous enseigne à ne pas