Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disperser nos sympathies au hasard. Qu’elle nous apprenne que le plus intéressant de tous les peuples, pour la France, c’est d’abord le peuple français.

Par sa politique extérieure, qui était sage, qui refusait de sacrifier la sécurité et l’avenir du pays à des rancunes ou à des engouements également funestes, Louis-Philippe s’est discrédité. La paix sauvegardée par lui à grand’peine, l’invasion et les tueries évitées ont hâté sa chute au lieu de lui valoir la reconnaissance du pays. On l’accusait de manquer du sens de l’honneur national. Son seul tort a été de voir trop clairement ce que les Français d’alors ne voyaient pas.

La Restauration avait encore pu faire une politique active par les expéditions brillantes, bien réussies, peu coûteuses, d’Espagne, de Grèce et d’Algérie. Elle avait donné satisfaction au besoin de mouvement et de gloire militaire que la France ressentait. La Monarchie de Juillet, à ses débuts, s’était montrée, elle aussi, entreprenante. Elle avait prouvé que le nouveau régime n’admettait pas que la France fût traitée en quantité négligeable. L’expédition d’Ancône, le siège d’Anvers apprirent à l’Europe qu’elle devait toujours compter avec le peuple français. Mais ces expériences mêmes, ces espèces de sondages, enseignèrent à Louis-Philippe qu’il fallait agir avec prudence. La matière européenne se transformait à vue d’œil. Le rapport des forces changeait. La Révolution de 1830, la réapparition du drapeau tricolore n’avait pas seulement mécontenté et remué les puissances en leur faisant craindre un réveil de l'activité révolutionnaire, une reprise des guerres de propagande. Les peuples aussi étaient méfiants, l’Allemagne surtout, dont le nationalisme, latent depuis sa grande éruption de 1813, s’entretenait et s’exaltait par la prédication de ses lettrés, de ses professeurs, de ses philosophes.

Au milieu des États qui grandissent, des peuples qui s’éveillent et qui s’agitent, la France, à partir de 1830, se trouve dans une situation qui annonce déjà celle où elle s’est trouvée de nos jours. La France ne domine plus par sa population ni par ses forces. Elle n’a plus la pleine liberté de ses mouvements, et une politique inconsidérée peut l’exposer à chaque instant à des risques graves. C’est pourquoi, après avoir contribué à la libération de la Belgique, Louis-Philippe refusa d’écouter les