Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/230

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Le principe des nationalités ne nous avait fait aucun ami. Il lui restait à susciter l’éternel ennemi de la nation française.

Bismarck était là pour pousser Napoléon III à la tentation et le jeter dans la dernière et la plus grosse de ses erreurs. Où restait-il quelque chose à essayer pour remanier l’Europe conformément aux idées napoléoniennes et au droit des peuples ? C’était du côté de l’Allemagne. Si l’unité italienne n’avait pas donné ce qu’on en espérait, l’unité allemande offrirait peut-être un champ plus favorable. Bismarck alla au-devant des désirs de l’empereur. Une grande Allemagne unie sous la présidence de la Prusse et sœur de la jeune Italie, c’était le système des « grandes agglomérations » réalisé, la Sainte-Alliance des peuples entrant dans l’histoire. En outre, le tentateur promettait sur le Rhin ou peut-être en Belgique (qui, après tout, n’était pas une « nationalité »), une compensation au moins égale à la Savoie et à Nice. Napoléon III, pris à ce piège, flatté dans toutes ses chimères, prompt à se rattacher à un nouvel espoir comme un homme déçu, vit son programme européen triomphant en même temps que Waterloo serait vengé et la France agrandie. Enfin Bismarck lui apportait le salut. Sur la grève de Biarritz, ébloui par les promesses du Prussien, Napoléon III se crut l’arbitre d’une Europe réconciliée dans la justice, l’harmonie et la paix. Et si la France eût pu connaître ces conversations secrètes, elle eût partagé la même confiance et les mêmes illusions. Bismarck connaissait le credo de la démocratie française : la gloire par la libération des peuples. C’était une naïveté. Il l’exploita hardiment, quitte à se découvrir quand la partie serait assez engagée et qu’il se sentirait lui-même assez fort. C’est ainsi que ses pâles successeurs ont parlé à Brest-Litovsk le même langage que les révolutionnaires russes pour frapper du poing sur la table le jour où ils ont vu qu’ils étaient les maîtres de la situation.