Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/255

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tionnaire. Quiconque ne consentait pas à déposer les armes, quiconque préférait le risque d’ensevelir le pays sous les ruines, vota pour les républicains : ce fut le cas de Paris, ce Paris entêté qui allait faire la Commune après s’être bercé des illusions de la « sortie en masse ». Mais il y eut un vote encore plus clair : celui de l’Alsace-Lorraine. Pour ne pas être abandonnée, pour ne pas servir de rançon, pour prolonger au moins l’espérance, l’Alsace députa à l’Assemblée un groupe compact de républicains avancés, Gambetta, Scheurer-Kestner en tête de sa liste.

Pour ceux qui connaissaient la France et qui savaient interpréter les manifestations de l’opinion publique, le scrutin de février n’était pas douteux : le peuple français s’était prononcé dans un sens conservateur. Mais conservateur de quoi ? De la paix et de la propriété. Il ne voulait ni bouleversements sociaux au dedans, ni, au dehors, de retour à cette politique aventureuse qu’il venait de payer si cher. Ce qu’il rejetait, dans la révolution, c’était le communisme et c’était l’esprit guerrier de la vieille Montagne. Chacun son champ. Et plus d’expéditions ruineuses, plus de cette grande politique européenne, féconde en déceptions trop souvent renouvelées. Sur ces deux points, mais sur ces deux points seulement, le mandat de la majorité était impératif. Quel qu’il fût, — sauf l’Empire condamné irrévocablement, — le régime qui donnerait cette double garantie à la France serait accepté. Les hommes qui voulaient fonder la République y réussirent parce que, ayant su pénétrer et se définir ce sentiment des masses, ils surent aussi s’en emparer.

Lorsque Keller eut lu la protestation de l’Alsace, une telle émotion saisit l’assemblée que Thiers put craindre que les préliminaires de paix fussent repoussés. En passant près de Keller pour monter à la tribune, il lui dit à mi-voix avec une coupante sécheresse : « Donnez-nous les moyens ». Pour lui, la France vaincue n’avait plus qu’à s’incliner devant le vainqueur et à organiser sa vie en conséquence. «. Il faut savoir ce que nous pouvons mettre derrière des paroles », dit-il à l’assemblée qui