Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/271

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ne suffisait pas d’être résolu à éviter les complications européennes et de rassurer l’Allemagne sur les intentions du régime. Il fallait encore donner des satisfactions à l’amour-propre national, un emploi aux activités, ouvrir des perspectives aux esprits. Une nation comme la nation française ne peut pas vivre dans l’immobilité. Il semblait à Jules Grévy, à Jules Ferry, que la politique de l’expansion coloniale fût propre à concilier tout.

Cependant, sur ce point et sur d’autres, avant même que la République fût enlevée aux monarchistes, avant même qu’elle fût définitivement fondée, des divergences étaient apparues entre les républicains. Le régime aurait ses modérés et ses radicaux, ses conservateurs et ses réformateurs, ses whigs et ses tories. C’était normal. C’était attendu. Mais d’où vient que, dès les premiers pas, la lutte ait été si âpre, qu’entre partisans de la même forme de gouvernement on ait échangé tant de violences ? C’est qu’on n’était pas d’accord sur la question essentielle, qui était la question nationale. On n’était pas d’accord sur l’avenir et l’honneur de la nation, sur l’attitude que la France devait prendre en face de l’Allemagne, sur ses devoirs à l’égard des provinces perdues.

Quand la route républicaine parut enfin sûre et libre, le rêve de Gambetta fut de passer, comme il disait, à « l’action extérieure ». Après des hésitations, il tendit à se retrouver tel qu’il avait été au temps de la Défense nationale. Le sens politique de l’Italien qu’il y avait en lui, qu’il avait hérité de ses ancêtres gênois, l’avertissait que les grandes réalités étaient européennes et que les colonies se sont toujours gagnées ou perdues sur le vieux continent. Sa fibre de 1870 lui disait aussi que, tôt ou tard, il faudrait en revenir à la nécessité vitale et que la France, sous peine de déchéance ou de mort, ne pouvait se résigner à naviguer dans le sillage de l’Allemagne. Au dernier moment, il s’était dérobé aux invitations de Bismarck, il avait refusé de se rendre à Varzin. Sans rompre brusquement, sans risquer d’éclat dangereux, il filait de l’huile et il préparait un retour au patriotisme républicain. Par là aussi il aggravait une défiance et une hostilité qui n’avaient jamais désarmé, celles de Jules Grévy qui, à l’Élysée, continuait de représenter, avec plus de discrétion et de réserve que le pétulant vieil-