Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/285

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tion. Il ne servait à rien de fermer les yeux. Qu’on n’eût pas de politique étrangère, ou qu’on en eût une, et quelle qu’elle fût, il fallait compter avec le monde extérieur.

Restait une attitude à prendre, une dernière expérience à tenter : on s’inclinerait devant l’Allemagne, on chercherait à désarmer son courroux par des concessions. M. Delcassé fut sacrifié sur l’autel de la paix. « Humiliation sans précédent », soupirèrent des républicains qui n’avaient pas cru qu’on verrait jamais un ministre français renversé sur l’injonction de Guillaume II. Pourtant il fallait en passer par là ou par la guerre. Et l’on alla à la Conférence d’Algésiras que l’Allemagne avait exigée. Autre prodige : il y parut que l’Empire allemand était isolé dans le monde, à peine soutenu par quelques comparses dans ses prétentions. L’aréopage international lui résistait, le déboutait et lui marquait sa méfiance : la vaste coalition avec laquelle l’Allemagne est aux prises aujourd’hui s’est esquissée à Algésiras. Dès lors, c’était bien clair : l’Allemagne ne croirait plus qu’à l’intimidation et à la force. Quoiqu’il arrivât, plus de conférence, plus d’arbitrage, plus de tribunal européen où elle se savait d’avance condamnée par la majorité. En acceptant d’aller à Algésiras, on n’avait abouti qu’à fermer une porte. Plus que jamais, l’Allemagne était convaincue que sa seule issue serait la guerre et elle ne passa plus un jour sans y penser et sans s’y préparer.

Chez nous, il y eut encore des hommes pour croire que nous échapperions à ce destin. Suivant la pensée qui avait guidé les fondateurs du régime, adaptant à la République radicale-socialiste les axiomes de la République conservatrice et opportuniste, ils conçurent et ils désirèrent une entente avec l’Allemagne. De nouveau, dans le pays, les deux courants désormais historiques se reformèrent. Mais, cette fois, l’ensemble de la nation n’y participait que faiblement et de loin. C’est dans les régions supérieures de l’opinion et dans les états-majors du personnel parlementaire que les deux tendances se retrouvèrent aux prises.

Il y avait toujours ceux qui se disaient à eux-mêmes que la France devait se résigner à ne plus être qu’une nation de deuxième ordre, glorieuse dans le passé, modeste dans le présent et dans l’avenir, comme l’Espagne, comme la Hollande.