Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/320

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Les débuts de la nouvelle monarchie furent extraordinairement heureux et ressemblent d’une façon singulière, mais en plus grand, aux débuts de Clovis. Les Carolingiens savaient ce qu’ils voulaient. Pas une hésitation, pas une faute dans leur marche. À sa mort, en 767, Pépin a pacifié et réuni la Gaule entière, y compris l’indocile Aquitaine. Les derniers Arabes restés en Provence et en Narbonnaise ont repassé les Pyrénées. Loin que le pays soit exposé aux invasions, barbares et infidèles se mettent sur la défensive. Et voilà que le pape, menacé dans Rome par les Lombards, abandonné par l’empereur de Constantinople qui penche déjà vers le schisme, a demandé la protection du roi des Francs. Alors se noue un lien particulier entre la papauté et la France. Pépin constitue et garantit le pouvoir temporel des papes. Par là il assure la liberté du pouvoir spirituel qui, dans la suite des temps, échappera à la servitude de l’Empire germanique, et la France respirera tandis que se dérouleront les luttes du Sacerdoce et de l’Empire. La religion romaine ne pourra pas devenir l’instrument d’une domination européenne : sauvegarde de notre indépendance nationale. Si Pépin n’a pu calculer aussi loin, il savait du moins que, par cette alliance avec l’Église, il affermissait sa dynastie à l’intérieur. Au dehors, la France devenait la première des puissances catholiques, la « fille aînée de l’Église », et c’était une promesse d’influence et d’expansion.

La nouvelle dynastie s’appuyait donc sur l’Église comme l’Église s’appuyait sur elle. Étienne II avait renouvelé la consécration qu’il avait donnée à Pépin. Il avait couronné lui-même le nouveau roi, et ce couronnement, c’était un sacre. De plus le pape avait salué Pépin du titre de patrice avec l’assentiment de l’empereur d’Orient qui se désintéressait de l’Italie. L’union de l’Église et des Carolingiens allait restaurer l’empire d’Occident, devenu l’empire de la chrétienté.

Empereur : ce fut le titre et le rôle de Charles, fils de Pépin, Charles le Grand, Carolus magnus, Charlemagne. Encore a-t-il fallu, pour que Charles fût grand, que son frère Carloman, avec lequel il avait partagé les domaines de Pépin, mourût presque tout de suite. L’autre Carloman, leur oncle, s’était jadis effacé devant son aîné. Sans ces heureuses circonstances au début des deux règnes, on serait retombé dans les divisions