Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/507

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l’électeur de Bavière, qui prétendait à la couronne impériale, élevait une contestation, lorsque, sans avertissement, violant toutes les règles de la morale publique, le roi de Prusse envahit une province autrichienne, la Silésie.

Depuis le jour où l’électeur de Brandebourg avait pris le titre de roi, la Prusse avait grandi dans le silence. Frédéric-Guillaume, le Roi-Sergent, avait constitué à force d’application, d’organisation et d’économie un État et une armée solides. Son fils Frédéric II, qui venait de lui succéder, avait donné le change sur ses ambitions par une jeunesse orageuse, l’étalage de ses goûts pour notre littérature et le soin qu’il avait pris de conquérir une véritable popularité parmi les Français en protégeant et en flattant nos écrivains et le plus célèbre de tous, Voltaire. Frédéric II passait pour un prince éclairé, ami du progrès et des idées qu’on appelait nouvelles et dont la vogue continuait à se répandre. Son coup de force, qui aurait dû soulever l’indignation, fut accueilli au contraire par des applaudissements parce qu’il était dirigé contre l’Autriche, toujours considérée comme l’ennemie traditionnelle de la France.

À ce même moment, Fleury, malgré sa prudence, se voyait obligé d’intervenir dans la guerre anglo-espagnole dont le développement menaçait nos intérêts maritimes de la manière la plus grave. Belle-Isle et les anti-autrichiens lièrent habilement les deux affaires. Ils dirent que l’Autriche était l’alliée des Anglais, que l’heure de la détruire était venue et qu’en la frappant on frapperait l’Angleterre. Ce raisonnement omettait deux choses : la mer et la Prusse. Mais Frédéric II passait pour un de ces princes allemands qui avaient été jadis, comme le Bavarois ou le Palatin, nos associés contre les Impériaux. De plus il était sympathique. Le courant devint si fort en faveur de l’alliance prussienne et de la guerre que Fleury, vieilli, fatigué, craignant, s’il résistait, de perdre le pouvoir comme Walpole l’avait craint, finit par céder. Louis XV céda lui-même. Il eut tort puisqu’il n’approuvait pas cette guerre et disait qu’il eût été préférable pour la France de « rester sur le mont Pagnotte », c’est-à-dire de regarder les autres se battre et de se réserver. Il voyait juste : par malheur pour nous, il n’imposa pas son avis. C’était peut-être de l’indolence, peut-être aussi le sentiment que la monarchie, diminuée depuis la