Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/533

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Cependant l’expérience de la guerre de Sept Ans n’avait pas été perdue. Vergennes savait que pour lutter avec avantage contre l’Angleterre, la France devait avoir les mains libres sur le continent. Partisan de l’alliance autrichienne, il refusait d’en être l’instrument et de la détourner de son objet véritable qui était de maintenir en Allemagne, contre la Prusse, l’équilibre créé par le traité de Westphalie. L’empereur Joseph II, esprit brillant et inquiet, que les lauriers de Frédéric empêchaient de dormir, crut que les hostilités entre la France et l’Angleterre s’accompagneraient d’une nouvelle guerre continentale favorable à ses ambitions. Vergennes se hâta de le détromper : l’Autriche ne devait pas devenir, à nos frais, comme la Prusse, une cause de désordres en Allemagne. Joseph II, à la mort de l’électeur de Bavière, ayant voulu s’emparer de ses États, la France intervint au nom de son droit de garantie sur l’Empire germanique et, par la convention de Teschen (1779), imposa sa médiation à l’Autriche et à la Prusse, prêtes à en venir aux mains. Sans rompre l’alliance autrichienne, sans se rejeter du côté de la Prusse, dans le véritable esprit de notre politique d’Allemagne, fondée sur la tradition bien comprise de Richelieu, Louis XVI et Vergennes ne s’étaient pas laissé détourner de la guerre maritime par une guerre terrestre, la preuve étant faite que l’Angleterre ne pouvait être atteinte que sur les mers. La paix conservée en Europe eut un autre avantage : non seulement l’Angleterre n’eut pas d’alliés, mais les peuples, menacés par son avidité et las de sa tyrannie navale, se rangèrent de notre côté, comme l’Espagne et la Hollande, tandis que les autres, sur l’initiative de la Russie, formaient une ligue des neutres, ligue armée, décidée à imposer aux Anglais la liberté de leur navigation.

Ces circonstances, dues à une sage politique, ont permis à la monarchie expirante de prendre sa revanche du traité de Paris. La guerre de l’Indépendance américaine n’a été par le fait qu’un épisode de la rivalité anglo-française. L’Angleterre renonça à vaincre les insurgés (qui traitèrent d’ailleurs sans nous attendre) le jour où elle eut renoncé à nous vaincre sur mer. Notre flotte n’avait pas été reconstruite et fortifiée en vain. L’argent qu’elle avait coûté n’avait pas été inutile. Si un projet de débarquement en Angleterre avorta, comme avortera