Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/534

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celui de Napoléon, partout, de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien, nos escadres avaient tenu les Anglais en échec, et le bailli de Suffren s’illustra comme un de nos plus grands marins. L’Angleterre n’était plus la maîtresse incontestée des mers. Elle avait convoité les colonies espagnoles et hollandaises pour compenser la perte de l’Amérique : elle dut s’en passer, et, si elle garda Gibraltar, rendit Minorque à l’Espagne. Nous-mêmes, par le traité de Versailles (1783), nous affranchissions Dunkerque des servitudes laissées par le traité d’Utrecht, nous retrouvions le Sénégal, sans lequel notre empire africain d’aujourd’hui n’existerait pas. Notre prestige restauré en Extrême-Orient nous permettait de pénétrer en Annam et d’amorcer notre établissement dans l’Indochine par laquelle, un jour, nous remplacerions l’Inde. Grand enseignement qui ne doit pas être négligé : nous avions perdu nos colonies sur la mer ; c’était aussi sur la mer que nous commencions à réparer cette perte.

Le défaut du traité de Versailles, c’était d’être une sorte de paix sans vainqueurs ni vaincus. Elle prouvait que nous étions capables de tenir tête à l’Angleterre. Elle ne résolvait rien. Le compromis de 1783 était un résultat, mais fragile. L’équilibre pouvait toujours être rompu par l’effort maritime de l’un ou de l’autre pays et c’est ce que l’Angleterre craignait de notre part et préparait de son côté. Vergennes, prudent et modéré, voulut consolider la situation acquise. La rivalité de la France et de l’Angleterre lui apparaissait comme un malheur et il disait que les incompatibilités entre les nations n’étaient qu’un préjugé. En 1786, par un traité de commerce qui sera un des griefs des états généraux contre la monarchie (on lui reprochait d’avoir inondé la France de marchandises anglaises), le gouvernement de Louis XVI voulut réconcilier les deux pays, les unir, les associer par les échanges, par leur participation à une prospérité, qui, des deux côtés de la Manche, grandissait tous les jours. Dans toutes les affaires qui se présentèrent jusqu’à la Révolution (en Hollande, par exemple, où nos amis les républicains furent renversés par les orangistes, à l’instigation de la Prusse et de l’Angleterre), la France évita ce qui pouvait conduire à un conflit. Elle laissa faire. Elle fut volontairement « conciliante et pacifique ». Pourtant l’Angleterre observait nos progrès avec