Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/560

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rité avait besoin de la rue : elle laissa toujours des possibilités à l’émeute. La garde nationale, confiée à La Fayette, avait été fondée pour conserver à la fois l’ordre et la Révolution : les deux tiers des sections dont elle se composait à Paris étaient plus favorables à la Révolution qu’à l’ordre et elles eurent pour chefs Danton et Santerre. Le reste de la France avait été divisé en districts dont les comités électoraux, ouverts en permanence, étaient des foyers d’agitation : ils ne furent jamais dissous ni leurs locaux fermés.

Les deux hommes qui, par leur situation personnelle et leur popularité, pouvaient prétendre à un grand rôle, La Fayette et Mirabeau, se jalousaient et ne s’entendaient pas. Tous deux se servirent des mêmes moyens, flattèrent la foule, jouèrent à la fois de la cour et des agitateurs pour arriver au pouvoir. Par là, ils poussèrent aussi au désordre. Seulement, doué d’esprit politique, Mirabeau vit le premier sur quelle pente l’Assemblée s’engageait. Il voulut arrêter, retenir, endiguer la Révolution. Depuis le mois de mars 1790, il était en relation avec le roi et la reine. Il leur prodiguait ses conseils. C’était le moment d’une accalmie, et Louis XVI lui-même eut l’illusion que ses concessions dont certaines avaient étonné jusqu’à ses adversaires, ne seraient pas inutiles. La fête de la Fédération, au Champ-de-Mars, sembla marquer un apaisement. Pour réunir les délégués des gardes nationales et les députations de tous les départements, pour célébrer la nouvelle unité de la France, on choisit le jour anniversaire de la prise de la Bastille, déjà passée à l’état de symbole et de légende, épurée, dépouillée de ses souvenirs d’insurrection et d’émeute. Les gardes nationales, les fédérés, soixante mille hommes venus de toutes les ci-devant provinces, représentaient la bourgeoisie française. À Paris même, les électeurs, tous bourgeois et payant le cens, venaient de renommer Bailly et la municipalité modérée. Tout le monde, le roi en tête, prêta serment à la Fédération devant l’ « autel de la patrie ». Ce fut le triomphe des classes moyennes. Camille Desmoulins et Marat n’en furent que plus ardents à exciter les vrais « patriotes », à dénoncer la réaction, la « grande trahison de M. de Mirabeau », à demander des pendaisons et des massacres. La majorité de l’Assemblée, fidèle à sa politique refusa de sévir contre les démagogues. Le résul-