Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/568

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tefois quand on veut la guerre, on l’a. Les Girondins passèrent même sur une objection capitale. La guerre qu’ils voulaient contre l’Autriche supposait, pour être conforme au type classique, que la Prusse serait notre alliée ou resterait neutre. Or, dès le mois d’août 1791, Frédéric-Guillaume et Léopold s’étaient rapprochés. Ils étaient d’accord pour observer les événements de France, pour adopter à leur égard une politique d’attente, une politique ambiguë, qui réservait toutes les éventualités et qui se traduisit par l’équivoque déclaration de Pillnitz que les émigrés, avec une coupable imprudence, interprétèrent publiquement comme un appui donné à leur cause, comme une menace des rois à la Révolution et comme la condamnation du régime constitutionnel accepté par Louis XVI. Mais le vrai sens de la déclaration de Pillnitz, c’était que, pour faire la guerre à l’Autriche, il faudrait la faire aussi à la Prusse, donc à toute l’Allemagne, détruire la politique française d’équilibre germanique, renoncer au traité de Westphalie. Voilà ce qui portait en Europe une véritable révolution, beaucoup plus sérieuse que les déclarations de fraternité des peuples contre les tyrannies dont avait déjà retenti la Constituante. C’était pour la France un saut dans l’inconnu, gros de dangers. Il suffisait de connaître un peu l’Europe et notre histoire pour pressentir un ébranlement du système européen constitué depuis un siècle et demi au profit de la France, un ébranlement dont les conséquences seraient encore plus irrésistibles que celles de la Révolution intérieure, car celle-là, un jour ou l’autre, trouverait des limites et son point d’arrêt dans la nature même de notre pays. Tout suggérait donc à Louis XVI, averti des choses d’Europe par son éducation, de s’opposer à cette aventure, de maintenir le contact avec l’Autriche, de s’unir à elle pour conserver l’équilibre européen : de là l’idée, à laquelle le roi s’attachait comme à une dernière ressource, d’un congrès où la situation générale serait examinée, congrès où l’Autriche, avec son vieil égoïsme, espérait bien recueillir quelque profit et dont le projet ne tarda pas à être imputé à Louis XVI comme une trahison.

Les quelques mois pendant lesquels les Girondins, par une opiniâtre volonté, firent triompher le parti de la guerre sont décisifs dans notre histoire. Nous en supportons encore les