Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/591

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titution, la partie la mieux calculée était celle qui prévoyait que le Corps législatif ne serait élu que par tiers. L’ancienne Convention était donc sûre de garder quelque temps la majorité. Elle évitait les brusques déplacements d’opinions et fut libre de poursuivre la lutte contre l’ennemi extérieur, bien que les premières élections partielles eussent montré dans le pays un courant favorable à la paix.

Si pitoyable qu’ait été le gouvernement du Directoire, il n’est pas juste de lui reprocher d’avoir continué la guerre au moment où ses finances tombaient au dernier degré de la détresse. Cette détresse même persuadait l’ennemi qu’avec un peu de patience il viendrait à bout des Français. Il avait été fabriqué pour 45 milliards d’assignats tombés à rien. Le Directoire se décida à brûler solennellement la planche qui servait à les imprimer, mais, se trouvant sans ressources, remplaça ce papier-monnaie par un autre, les mandats territoriaux, qui eurent aussitôt le même sort. Si quelques spéculateurs s’enrichissaient, les rentiers, les fonctionnaires mouraient de faim. Nos soldats, dont le nombre croissait par la conscription, n’avaient pas de souliers. Bientôt la misère allait favoriser la propagande socialiste et la conspiration de Babeuf. Il est donc naturel que le Directoire ait continué de concevoir la guerre comme un moyen de lever des contributions sur l’étranger et de trouver des ressources, et aussi qu’il ait appréhendé le retour, après une paix blanche, de troupes affamées et déguenillées, qu’il ait enfin approuvé le plan audacieux de Bonaparte, la conquête et le pillage de l’Italie. La destruction de la planche aux assignats, symbole de la banqueroute que la Révolution s’était flattée d’éviter, est du 19 février 1796. Le 22, Bonaparte recevait le commandement de l’armée des Alpes qu’il entraînait vers « ces riches provinces » où elle trouverait « honneur, gloire et richesse ». Bonaparte tint parole. Une campagne marquée par une série de victoires, Castiglione, Arcole, Rivoli, lui permit d’accomplir son programme. Désormais, il n’en changera plus. Il fera de ses batailles une source de profits. Pendant quinze ans, il conduira la guerre, non seulement sans qu’elle coûte rien à la France, mais en travaillant par elle à la restauration financière, jusqu’au jour où les peuples d’Europe rançonnés se soulèveront.