Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/592

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Un général victorieux et qui apportait de l’argent se rendait indispensable. Et la popularité de Bonaparte grandissait. Il n’en est pas moins vrai que bien des Français se demandaient si l’on allait se battre toujours, enrôler toujours, conquérir toujours. On savait aussi que les partisans les plus passionnés de la guerre étaient les Jacobins. On craignait que la situation qui avait mené à la Terreur y reconduisit. En 1797, au moment où l’Autriche, chassée de l’Italie, menacée jusque chez elle, signait les préliminaires de Léoben, les élections avaient envoyé aux Conseils une nouvelle fournée de modérés, opposés à la politique belliqueuse. Dans l’état de misère et d’anarchie où était la France, avec un gouvernement faible, divisé et méprisé comme le Directoire, la continuation de la guerre, aux yeux des hommes raisonnables, était une absurdité et devait produire une catastrophe. Il fallait, disaient-ils, profiter de la défaite de l’Autriche, de l’abattement de Pitt qui entamait des pourparlers à Lille et se montrait disposé à accepter les conquêtes de la Révolution, celle de la Belgique et de la rive gauche du Rhin, comme à reconnaître la République batave de Hollande et la République cisalpine d’Italie, annexes de la République française. Un des directeurs était d’avis que cette occasion ne devait pas être perdue : c’était Barthélemy, le négociateur du traité de Bâle, diplomate d’ancien régime, élève de Vergennes. Carnot hésitait, redoutant un retour des Bourbons autant que la dictature militaire. Les trois autres, Rewbell, Larevellière et Barras (quoique ce dernier, vénal et corrompu, fût flottant), pensaient que la paix offrirait plus de difficultés que la guerre, que le gouvernement aurait à résoudre des problèmes insolubles ou qu’il serait renversé par la réaction dont la paix serait le triomphe. Ils pensaient aussi que les auteurs et les bénéficiaires de la Révolution auraient des comptes à rendre, particulièrement les régicides, et ils se disaient, — en quoi ils n’avaient sans doute pas tort, — que les dispositions de Pitt ne dureraient pas, qu’une Angleterre nous laissant nos conquêtes du Rhin à l’Adige, c’était trop beau, que la guerre reprendrait sans retard et dans des conditions moins bonnes pour nous, le ressort s’étant une fois détendu.

Les partisans de la paix avaient la majorité dans les Conseils,