Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/638

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la France avait besoin de ménagements et la Chambre tenait un langage qui pouvait alarmer beaucoup de personnes et beaucoup d’intérêts. Le gouvernement entendait rester juge des mesures à prendre pour punir les complots bonapartistes et en prévenir le retour. Il avait à reconstituer des finances ébranlées par deux invasions et dont le baron Louis, après 1814, avait préparé le rétablissement en fondant le crédit sur le respect des engagements pris par les régimes antérieurs. Il était particulièrement nécessaire de rassurer les possesseurs de biens nationaux. Une chambre royaliste eût donc été sage de ne pas créer un surcroît d’embarras au pouvoir. C’est elle cependant qui, pour imposer ses vues, en un mot pour gouverner elle-même, s’efforça d’étendre les prérogatives du Parlement au détriment des prérogatives de la couronne. Elle voulait que les ministres fussent ses représentants auprès du roi au lieu d’être les représentants du roi auprès d’elle. Cette Chambre contre-révolutionnaire ne se comportait pas autrement que la Constituante. Elle ne consentait pas à n’être qu’un pouvoir auxiliaire de l’autorité royale, comme la Charte l’avait voulu. Elle visait à posséder le pouvoir. Chateaubriand, royaliste frondeur, publia une brochure retentissante, la Monarchie selon la Charte, pour réclamer le régime parlementaire complet, sans réserves, avec le droit de renverser les ministères et non plus seulement de les contrôler. Ces ultra-royalistes, devenus députés, étaient ultra-libéraux et ils ouvraient la porte aux revendications et aux agitations de la gauche. Nous retrouvons là un phénomène ancien, bien connu : le duc de Saint-Simon, s’il avait vécu cent ans plus tard, eût été de cette opposition.

On eut ainsi en 1816 le spectacle étrange d’une Chambre d’extrême droite en conflit avec le roi. Il en coûtait à Louis XVIII de rompre avec elle, c’est-à-dire avec ce qu’il y avait de plus royaliste en France. Mais il était impossible d’admettre que la souveraineté se déplaçât. Le roi, en 1814, n’avait pas cédé au Sénat de l’Empire. Il avait fermement tenu au principe que la Charte était « octroyée » par lui. Si la Charte était révisée sur l’initiative des députés, quelle que fût leur opinion, ce que Louis XVIII avait obtenu disparaissait. En 1816, la Chambre s’obstinant à combattre le ministère Richelieu et à modifier la