Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/72

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par Mignet, qui voyait bien mais qui écrivait mal, « le pivot de son règne », continuait la tradition de la grande politique française. Le succès de cette entreprise devait marquer une ère nouvelle.

Louis XIV ne s’était pas résolu sans hésitations à accepter le testament de Charles II, qui appelait son petit-fils au trône d’Espagne. Au grand conseil de la couronne qui fut tenu en cette circonstance, la raison qui décida fut une raison d’État. La France achèverait la pensée de François Ier, de Henri II, de Henri IV, de Richelieu, elle en finirait avec le « dessein d’Espagne » et la possibilité d’une restauration de la puissance qu’on avait vue à Charles-Quint. L’Europe crut que Louis XIV aspirait à la monarchie universelle, tandis qu’il travaillait pour l’équilibre. Faire en sorte que la maison d’Autriche fût pour toujours écartée de l’Espagne, c’était servir la France et tout le continent. L’Europe, par un étonnant retour, rendit justice à Louis XIV, à son bon sens, à son esprit prévoyant, lorsque l’Empereur Joseph, étant mort sans enfants en 1711, eut pour successeur son frère l’archiduc Charles, le même que la coalition soutenait contre Philippe V. La réunion des deux couronnes, la reconstitution de l’Empire de Charles-Quint apparut alors comme un danger bien plus certain que celui qu’on avait voulu combattre. Ce fut au sens politique des conservateurs anglais, des tories, opportunément revenus au pouvoir, que l’on dut une paix qui, en définitive, donnait raison à Louis XIV.

Le but de la succession d’Espagne atteint, les Habsbourg à jamais éloignés de Madrid, réduits à leurs domaines héréditaires et au titre vide et pompeux d’Empereurs, Louis XIV eut une pensée par laquelle s’atteste encore ce haut bon sens que lui a reconnu Sainte-Beuve. À la fin de sa carrière, peu de mois avant sa mort, Louis XIV avait la satisfaction de voir un cycle fermé. Cette lutte contre la maison d’Autriche, qui, pendant deux siècles, avait occupé la monarchie, à laquelle la nation française, avec ses rois, ses grands politiques, ses illustres capitaines, avait pris part de toute son âme, cette lutte était enfin terminée. La question d’Espagne était résolue à notre avantage, comme l’avait été, soixante-sept ans plus tôt, celle d’Allemagne. La France pouvait se réjouir. Son avenir conti-